Avec la pénurie de main-d’œuvre, changer d’emploi est presque devenu un jeu d’enfant. Mais au moment de partir, les travailleurs qui bénéficient d’un régime à prestations déterminées doivent prendre une décision d’adulte averti. Vaut-il mieux attendre la rente ou reprendre ses billes ?
Publié le 31 oct. 2021Les experts en finances conseillent un nombre grandissant de travailleurs qui hésitent entre l’œuf et la poule au moment de quitter un emploi. Avec raison, car ce n’est pas toujours évident de prendre une telle décision.
Heureusement, la réponse se trouve en bonne partie dans l’analyse d’un document clé : le relevé de fin de participation active. À condition de savoir comment faire les calculs et d’accepter qu’il y ait des zones grises.
La capitaine Carole-Anne Dufour doit justement faire ce choix. Elle quitte les Forces armées canadiennes après 12 ans de service. Elle y bénéficiait d’un régime de retraite à prestations déterminées (PD). Le montant de sa rente garantie est donc connu, ce qui n’est pas le cas avec les régimes à cotisations déterminées (CD).
« À long terme, j’ai de la difficulté à déterminer quelle serait la meilleure option pour moi », m’écrit celle qui pourra toucher 1861 $ dès ses 60 ans, puis 1493 $ à 65 ans (en dollars d’aujourd’hui). Généreux, son régime indexé compense, de 60 à 65 ans, l’absence présumée de rente du RRQ.
Quant à la valeur actuarielle de 360 978 $, moins de la moitié pourra être transférée sans impact fiscal dans un REER immobilisé, l’équivalent, au fédéral, du compte de retraite immobilisé (CRI) québécois. La somme transférable est limitée puisqu’on ne peut mettre de l’argent à l’infini dans un REER.
Le reste de la valeur de transfert devra donc être soumis à l’impôt. Et on parle ici de 200 000 $, grosso modo. « Cette somme sera ajoutée à son salaire et elle va en perdre la moitié. Souvent, les gens ne comprennent pas ça », rapporte le planificateur financier André Lacasse, du cabinet Services financiers Lacasse.
La seule façon de contourner cette ponction serait de transférer la somme dans un REER, mais encore faut-il avoir de l’espace, ce qui n’est pas le cas de Carole-Anne et de bien des bénéficiaires d’un régime PD.
Une fois le véritable montant du transfert établi, il faut déterminer quel sera le taux de rendement nécessaire pour obtenir la même rente que celle promise par son régime PD. Un exercice que Lucie Gervais, directrice générale, planification fiscale et successorale, chez IG Gestion de patrimoine, a accepté de faire avec les données de Carole-Anne et deux âges pour des fins de démonstration. Elle a aussi calculé ses chances de réussite.
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Avant d’en dévoiler les conclusions purement mathématiques, dressons la liste des autres questions à se poser.
« La première, c’est : quel est le taux de solvabilité du régime ? », indique André Lacasse. Si on bénéficie d’un régime gouvernemental comme le RREGOP, on ne s’en inquiète pas. Mais dans l’entreprise privée, si.
Les entreprises sont tenues de combler les déficits, mais toutes n’ont pas les reins solides. Il faut donc se questionner sur leur espérance de vie. En cas de faillite, la pension risque d’être amputée.
Il faut aussi prendre en considération sa propre espérance de vie. « Les gens ne réalisent pas qu’ils peuvent vivre jusqu’à 100 ans », note André Lacasse. L’avantage de la rente, c’est qu’elle est garantie jusqu’à la mort, alors qu’on peut survivre à ses épargnes. Ceux qui s’intéressent à la Bourse répliqueront qu’ils sont capables de faire mieux que leur régime de retraite. « Bien des gens sont convaincus qu’ils peuvent faire des rendements mirobolants. Surtout les boursicoteurs », observe l’expert en rappelant que c’est loin d’être simple et garanti.
Évidemment, plus on est jeune, plus on aura de chances de « battre » le rendement de son régime de retraite et de se refaire en cas de forte baisse des marchés. Son âge est donc un facteur important de l’équation (voir les scénarios dans le tableau ci-dessous).
Le régime est-il indexé ? Si oui, il vaut de l’or. « C’est difficilement battable », résume Lucie Gervais.
Un autre élément à considérer est sa situation amoureuse. Une rente sera généralement réversible au conjoint à 60 % (parfois plus), tandis que la succession ne touchera pas un sou après la période de garantie. A-t-on un conjoint, pense-t-on en avoir un après 65 ans, quels seront ses besoins financiers ? Attention, la définition de conjoint est différente selon qu’il s’agit d’un régime PD fédéral ou provincial.
L’avantage de la rente, c’est que c’est sans souci. On n’a pas de choix d’investissement à faire, d’inquiétudes face aux fluctuations des indices boursiers. « Si on ne vit plus et qu’on est trop stressé, on n’est pas plus avancé », dit Lucie Gervais, tout en ajoutant qu’il faut une bonne discipline financière pour prendre la valeur actuarielle.
Revenons maintenant au cas de Carole-Anne. Ses chances de « battre » son généreux régime qui lui donnera une rente sans pénalité dès ses 60 ans sont très minces. À moins qu’elle ait 32 ans et une grande tolérance aux risques.