Les bracelets en peau d’alligator ou d’autres reptiles sont devenus un complément de choix des montres de luxe suisses. Mais leur interdiction en Californie contraint les horlogers à réexaminer la question.
Ce contenu a été publié le 31 juillet 2020 - 09:49Le spécialiste de l’Inde de swissinfo.ch couvre une large palette de thèmes qui va des relations bilatérales aux films de Bollywood. Il en sait long sur l’horlogerie suisse et a une préférence pour la partie francophone de la Suisse.
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Les groupes de défense des droits des animaux ont enregistré une grande victoire en septembre 2019: la Californie a adopté une loi interdisant la vente de peaux d’alligators et de crocodiles. Cette décision, qui devrait entrer en vigueur en 2020, est en revanche une mauvaise nouvelle non seulement pour les chasseurs et les éleveurs d’alligators de Louisiane, mais aussi pour les détaillants de luxe de Beverly Hills qui vendent des chaussures, des ceintures et des sacs à main en cuir exotique et qui avaient fait pression contre l’interdiction.
Les magasins de Californie qui vendent des montres suisses haut de gamme avec des bracelets en alligator ont également de quoi s’inquiéter. «Certaines marques ont envoyé des bracelets de remplacement pour les montres en stock, mais d’autres n’ont pas réagi», indique Jamie Hays de la Feldmar Watch Company, une société qui possède des magasins à Los Angeles et à Beverly Hills.
La situation s’est encore compliquée en raison de deux recours de dernière minute contre cette interdiction, l’un émanant du Département de la faune et des pêches de Louisiane et l’autre d’un groupe d’éleveurs d’alligators de Louisiane et de détaillants de luxe californiens. L’interdiction est maintenant temporairement suspendue, mais la pandémie de coronavirus pourrait retarder les audiences prévues cette année et la décision finale.
«Tout s’est un peu dégonflé à la fin. Nous nous étions tous préparés au pire, mais nous ne pouvons rien faire pour le moment», explique Jamie Hays. Les partisans de l’interdiction ont cependant de bonnes chances de l’emporter devant les tribunaux californiens.
Quant aux collectionneurs de montres, ils peuvent toujours se rendre dans un État voisin pour acheter une montre suisse avec un bracelet en alligator. Mais la Californie fait régulièrement figure de pionnière et ses décisions politiques — de la légalisation du cannabis à l’introduction d’un salaire minimum — influencent souvent le reste de l’Amérique et même du monde. Cette interdiction a pour le moins alerté les marques de montres suisses: continuer comme si de rien n'était constitue un risque financier.
«En réponse à la demande croissante des consommateurs pour des produits durables et éthiques, les marques de luxe abandonnent les matériaux d’origine animale, y compris les peaux exotiques», dit Sophia Charchuk, de l’association «Pour une éthique dans le traitement des animaux» (PETA - People for the Ethical Treatment of Animals) qui a fortement milité en faveur de l’interdiction. «Toutes les marques qui veulent éviter d’être délaissées par le plus grand groupe démographique de consommateurs — la génération Z et les milléniaux qui optent pour des produits sans cruauté — devraient bannir les peaux exotiques.»
C’est ce qu’ont déjà fait différentes marques haut de gamme au cours des dernières années. Le grand détaillant londonien Selfridges a par exemple indiqué qu’il ne stockerait plus de produits utilisant des peaux d’alligator, de crocodile ou encore de python depuis février 2020. Mais les bracelets de montre semblent avoir échappé à son attention. Au 1er juillet, sa boutique en ligne vendait encore 13 modèles de montres suisses de luxe avec des bracelets en alligator: six de Vacheron Constantin, trois de Zenith, deux de Longines, un de Girard-Perregaux et un de Carl F. Bucherer.
Lorsque des groupes de défense des animaux les confrontent aux questions éthiques posées par l’utilisation de bracelets exotiques, les grands horlogers suisses répondent qu’ils ne s’approvisionnent qu’à des sources durables qui ne mettent pas en danger la survie des espèces. Le Swatch Group — qui possède en particulier les marques de luxe Omega, Breguet et Longines — a ainsi cessé en 2010 d’utiliser des bracelets en cuir de crocodile, serpent, raie et requin. En revanche, l’alligator représente encore environ 10% de tous les bracelets en cuir.
«Nous n’utilisons pas d’autre cuir exotique que celui de l’espèce Alligator mississippiensis provenant d’un nombre restreint d’élevages durables clairement identifiés et contrôlés dans le sud-est des États-Unis», déclare un représentant du Swatch Group. PETA n’est cependant pas convaincue que le bien-être des animaux soit une priorité dans ces fermes d’alligators: «Les animaux tués pour leur peau sont élevés dans une eau fétide et entassés dans des fosses sombres pour finir poignardés dans l’échine», explique Sophia Charchuk.
En 2010, des images choquantes provenant d’Indonésie montrant des pythons et des lézards écorchés vifs ont lancé une réflexion sur l’approvisionnement en peaux de reptiles provenant de l’étranger. L’année dernière, à l’initiative de la Suisse, l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) a pour la première fois adopté des recommandations sur la mise à mort respectueuse des reptiles dans l’industrie du cuir. C’est l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) qui a lancé puis dirigé la rédaction de la norme sur «les méthodes de mise à mort des reptiles utilisés à des fins commerciales pour leur peau, leur viande ou d’autres» du Code sanitaire pour les animaux terrestres de l’OIE. Ces recommandations déclarent inacceptable la mise à mort par congélation, ébouillantage, étouffement, noyade ou écorchage vif.
Pour sa part, PETA souhaite tout simplement qu’on arrête de tuer des reptiles pour produire du cuir. Elle conseille aux entreprises de luxe de les remplacer par des matériaux alternatifs. «Les matériaux végétaliens durables et écologiques et les récentes avancées dans le domaine du textile — comme les polymères d’origine végétale et les polyuréthanes recyclés, ainsi que les matériaux fabriqués à partir d’écorce de chêne-liège, de feuilles d’ananas, de feuilles de mûrier et de champignons — révolutionnent le marché de la mode. Ils prouvent que nous n’avons pas à sacrifier le style pour être plus respectueux à l’égard des animaux et de la planète», affirme Sophia Charchuk.
Dans l’industrie horlogère, le problème ne vient pas tant du manque d’alternatives que d’une question d’image. Le bracelet en cuir exotique est devenu un accessoire de luxe important pour une montre suisse haut de gamme. Il existe une «forte demande des clients» pour les bracelets en cuir d’alligator, a indiqué le Swatch Group à swissinfo.ch. Certaines marques de montres suisses ont adopté une forme de compromis avec des bracelets en cuir de vache ou de veau gaufré présentant des motifs crocodile ou alligator.
Mais quelle que soit la voie choisie par l’industrie horlogère pour ses bracelets haut de gamme, l’interdiction qui menace en Californie montre qu’elle ne peut plus ignorer la question. Et les horlogers suisses peuvent difficilement se permettre de s’exposer à d’autres déboires: le montant des exportations de montres a déjà chuté de plus d’un tiers au cours du premier semestre de cette année, en grande partie à cause de la pandémie de Covid-19.
Suite à la publication de cet article, Selfridges a contacté swissinfo.ch. Un représentant a affirmé qu'il y avait une erreur dans les descriptions des produits en ligne et que Selfridges va rectifier pour faire comprendre à ses clients que les bracelets de montre ne sont pas en cuir exotique. Cependant, swissinfo.ch ne peut pas vérifier cette déclaration.
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