Quand, en 1989, j'ai quitté Paris pour Los Angeles, j'y ai retrouvé ma marraine Elizabeth Taylor. Elle a été un ancrage pour moi dans cette nouvelle ville, organisant tous les dimanches de grands déjeuners avec ses proches. Ses enfants, ses petits-enfants, ses meilleurs amis, parmi lesquels on comptait aussi bien son kinésithérapeute ou son coiffeur, José Eber, que des personnalités comme Johnny Depp, Roddy McDowall, Carole Bayer Sager, Michael Jackson, Waldo Fernandez, etc. Ce qui comptait à ses yeux, ce n'était pas qui vous étiez, mais l'affection qu'elle vous portait. Elle entretenait des amitiés fortes et intimes avec toutes sortes de personnes. Les déjeuners du dimanche étaient un havre de paix : un jardin magnifique, des discussions au bord de la piscine, des enfants qui couraient partout et, de temps à autre, la visite surprise de Shirley MacLaine, Lauren Bacall, Herb Ritts ou Gregory Peck, pour n'en nommer que quelques-uns. J'adorais ces moments et c'est en grande partie grâce à ces déjeuners que je me suis sentie en sécurité et entourée dans cette nouvelle ville.
En juin 2002, j'ai quitté le studio de Rick Owens, à Hollywood, avec le cadeau de mariage qu'il m'avait fait : ma tenue pour la soirée. Un T-shirt à manches longues beige et une jupe longue assortie, que j'allais porter pour le cocktail sur la plage, le dîner et la soirée dansante sous une tente dressée sur le sable de Malibu. Nous devions faire la fête avec des amis et de la famille. Restait la question de la coiffure, du maquillage, des bijoux... Eh oui, les bijoux ! Avec cette tenue, il me fallait vraiment des bijoux colorés. J'ai foncé au 700 Nimes Road, à Bel Air, pour demander conseil à ma marraine la fée.
J'ai monté l'escalier couvert d'un tapis blanc qui menait à sa salle de bains et à son dressing. C'était son sanctuaire. Dès que j'ai enfilé la tenue, la magie s'est enclenchée. Devant sa salle de bains, il y avait une étroite chambre forte, tout en longueur, garnie de tiroirs à foison - c'est là qu'elle conservait tous ses bijoux. Au fil des années, nous avions souvent fait des essayages pour nous amuser, et elle adorait sortir l'un après l'autre ses plateaux de trésors. Elle aimait examiner chaque pièce, raconter qui la lui avait offerte, d'où elle venait, si elle l'avait achetée, expliquer à quel point elle y était attachée et se remémorer en quelles circonstances elle l'avait portée. Les bijoux étaient une vraie passion, pas seulement un ornement, c'était presque comme des amis dont elle appréciait la compagnie, ils lui apportaient une grande joie. Elle se décorait grâce à eux, et ils constituaient un des fils conducteurs de sa vie, une chronologie de ses amitiés et de ses amours.
Elle avait un regard sûr, et elle ne se précipitait pas pour donner son verdict. Toutes les pièces qu'elle m'a fait essayer, elle y avait mûrement réfléchi : une fois que je les avais passées, elle se reculait et inclinait la tête pour m'observer, pensive. Dans cette salle de bains, recouverte d'une moquette blanche somptueuse, j'avais passé des heures, assise par terre à côté du fauteuil où elle s'installait pour se maquiller. Il lui fallait du temps pour se préparer, c'est sûr, mais cela voulait dire pour moi que nous passions ensemble des heures précieuses à bavarder à bâtons rompus et à échanger des confidences. Elle prenait son temps pour tout, personne ne pouvait la presser.
Tandis que je me tenais là, pieds nus dans ma tenue beige, elle est sortie de la chambre forte avec un magnifique collier de grosses perles de turquoise, d'une beauté à couper le souffle. Elle m'a suggéré de me faire un chignon et elle est retournée chercher une bague et un bracelet - je portais déjà des boucles d'oreilles Bvlgari ayant appartenu à Audrey Hepburn, une touche d'émeraude et de saphirs avec des diamants. Elle est ressortie avec un bracelet en or et turquoises signé Jean Schlumberger et une bague assortie. Maintenant, elle était satisfaite. Je me sentais aimée et parée à merveille. C'était moi la star !