Covid-19: «Je suis très gêné qu'un rappel vaccinal s'impose comme une obligation, tant sur la forme que sur le fond»

Covid-19: «Je suis très gêné qu'un rappel vaccinal s'impose comme une obligation, tant sur la forme que sur le fond»

Gérald Kierzek est médecin urgentiste et chroniqueur santé, directeur médical de Doctissimo, et auteur notamment de Coronavirus, comment se protéger? (Éditions de l'Archipel, mars 2020).


FIGAROVOX. - Emmanuel Macron a annoncé que le passe sanitaire des plus de 65 ans sera conditionné à une troisième dose de vaccin. Puis, début décembre pour les 50-64 ans. Approuvez-vous cette décision ?

Gérald KIERZEK. - Cibler les plus de 65 ans est une bonne chose puisque ce sont les plus à risque de formes graves. Mais il faut surtout aller chercher les non-vaccinés dans cette catégorie soit environ 10% encore de nos concitoyens plutôt que d'imposer un rappel dont on ne connaît pas la réelle nécessité.

Depuis le début de l'épidémie, plus de 90% des patients hospitalisés en réanimation avaient plus de 65 ans donc il paraît légitime de les protéger en priorité, de même que la tranche d'âge légèrement en deçà 50-64 ans et les personnes obèses. Très tôt il a été démontré que plus de 47 % des patients infectés entrant en réanimation sont en situation d'obésité et la forme sévère (à savoir un IMC supérieur à 35) avec augmentation significative du risque d'être placé sous respiration mécanique invasive (intubation), indépendamment de l'âge, de l'hypertension artérielle et du diabète. La priorité doit donc être de les vacciner avec un premier schéma complet.

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Je suis très gêné qu'un rappel vaccinal s'impose comme une obligation, tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, désactiver le passe sanitaire des plus de 65 ans qui n'ont pas de rappel vaccinal est violent et s'apparente à une obligation. Le consentement est un droit des patients fondamental. Cela prolonge de facto le passe sanitaire qui devait être initialement arrêté au 15 novembre et proportionné à la situation épidémique selon la décision initiale du Conseil Constitutionnel alors que ce passe ne limite en rien les contaminations et qu'il a déjà rempli son rôle, pousser à la vaccination massive cet été.

Vu le succès vaccinal, il serait donc légitime de ne plus y avoir recours et je ne peux que regretter que le Président, probablement sous la pression du courant alarmiste et hygiéniste du Conseil Scientifique, le prolonge.

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Sur le fond ensuite, la nécessité d'un rappel vaccinal peut être discutée. En effet, elle se base sur des études de sérologies montrant que les plus de 65 ans voient leur taux d'anticorps baisser. Mais l'immunité est bien plus complexe qu'une simple mesure d'anticorps ! Quand les anticorps baissent, l'immunité cellulaire est là pour assurer aussi les défenses immunitaires et nous sommes médicalement incapables, en routine quotidienne, de connaître la durée de protection vaccinale. L'immunité naturelle est également une immunité forte, plus forte que celle octroyée par le vaccin comme le montrent beaucoup d'études, notamment parce qu'elle permet de développer une immunité muqueuse (anticorps IgA) au niveau ORL seule à même de stopper la circulation virale. Le vaccin n'empêche pas les contaminations car il ne confère pas cette immunité muqueuse ; il protège des formes sévères.

Il serait donc sûrement souhaitable de laisser circuler le virus chez les moins fragiles (pas de risque de formes graves et immunité naturelle solide) ainsi que chez les vaccinés sans faire de rappel. On pourrait même dire que le rebond de contaminations permet d'envisager de stopper la circulation virale et de mettre fin à l'épidémie ! Mais pour cela, il faut sortir du « mode panique » devant les courbes de tests positifs !

Alors que le nombre de contaminés augmente à nouveau, faut-il renforcer les gestes barrières comme l'a dit le président ?

Les gestes barrières basiques oui, les mesures restrictives non ! Je m'explique. Les gestes barrières comme le lavage des mains régulier ou les solutés hydroalcooliques quand le lavage des mains est impossible est raisonnable pour lutter contre tous les virus (Sars-Cov-2, grippe, gastro-entérites et autres). De même, l'aération des locaux, privés et publics est fondamentale. En revanche, le port du masque chez les enfants ou encore en extérieur n'a pas de sens. Il faut des mesures barrières tenables sur le long terme pour vivre avec ce virus et limiter les autres virus. Nous ne pouvons pas socialement, psychologiquement et même immunitairement vivre sous cloche.

Les conséquences psychologiques du port du masque chez les enfants sont réelles et terribles, y compris à long terme, alors que son efficacité comme geste barrière plus qu'hypothétique. Trop d'hygiène tue l'hygiène sur le plan immunitaire. On le voit actuellement avec la recrudescence de la bronchiolite chez les enfants nés pendant les mesures de confinement. Leur système immunitaire n'a pas été confronté aux virus classiques liés à la vie en société (crèches, etc.) et est fragilisé.

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Il est impératif de ne pas sombrer dans une folie hygiéniste dangereuse politiquement et médicalement. Là encore, il ne faut pas céder à la panique des chiffres.

Les contaminations vont augmenter inexorablement mais ne constituent pas une vague au sens de saturation hospitalière. Nous avons assisté en 2020 à des vagues de saturation des réanimations dans deux régions essentiellement (Grand Est et Ile de France) ; stricto sensu, nous ne pouvons plus parler de troisième, quatrième ou cinquième « vague » puisqu'il s'agit désormais de vague de tests positifs sans répercussion hospitalière.

La crise actuelle de l'hôpital, et j'allais dire même celle de 2020 soi-disant liée au COVID, est structurelle et liée au manque de lits et maintenant de personnels. Les patients COVID n'ont représenté que 2% de l'ensemble des patients hospitalisés au cours de l'année 2020 selon le rapport de l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation qui collecte et analyse toutes les données hospitalières ! Bien loin du fantasme collectif d'un hôpital rempli de patients COVID avec des personnes ne pouvant être prises en charge et « triées » pour entrer à l'hôpital.

Et pourtant l'hôpital a failli ne pas tenir et je dirais même ne tient plus au vu des fuites de personnels et de l'absence de remaillage territorial avec des hôpitaux de proximité. Tous les jours en France, la Réserve Sanitaire de Santé Publique France, dédiée aux situations sanitaires exceptionnelles, fait désormais appel à des volontaires (médecins, soignants, techniciens de laboratoire, manipulateurs radio) pour assurer l'activité d'hôpitaux exsangues et au passage déshabiller Pierre pour habiller Paul.

L'arrivée des traitements médicamenteux est-elle une bonne nouvelle ?

Oui, même s'il ne faut pas s'attendre à des médicaments miracles. Les molécules en lice sont le molnupiravir du laboratoire MSD Merck pour lequel l'agence britannique des médicaments (MHRA) vient de donner la première autorisation réglementaire pour le traitement des formes légères à modérées de Covid-19 chez les adultes. Des résultats de phase III montrent que cet antiviral oral, initialement conçu pour la grippe, a permis de réduire le risque d'hospitalisation ou de décès d'environ 50% par rapport au placebo, pour des formes légères à modérées de Covid-19. L'autre molécule est le Paxlovid du laboratoire Pfizer, développé contre le SRAS, qui semble efficace pour prévenir les formes graves de Covid-19 chez les personnes à haut risque en bloquant une enzyme dont le coronavirus a besoin pour se reproduire. La fluvoxamine, un antidépresseur, semble également prometteur et pourrait être utilisé.

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Dans tous les cas, ces médicaments sont des médicaments en complément de la stratégie vaccinale et de la prise en charge classique et précoce des patients à risque notamment. La différence fondamentale entre mars 2020 et novembre 2021, outre la vaccination, est que nous savons maintenant repérer et traiter les patients à risque : scanner rapide pour voir l'atteinte pulmonaire ou pas, surveillance et/ou traitement ambulatoire ou hospitalier (oxygène, cortisone, anticoagulants, antibiotiques, etc.). Cette prise en charge évite la réanimation. Encore faut-il avoir les ressources humaines et logistiques pour le faire pour tous et partout.

Je ne peux que saluer le «N'ayons pas peur, croyons en nous» du Président de la République, qui ne cède pas à un alarmisme malhonnête. Je voudrais maintenant que le probable futur candidat à sa réélection, et les autres candidats, comprennent enfin que le COVID n'est qu'un révélateur et le symptôme d'une crise profonde du système de santé qu'il faut réformer d'urgence sous peine de ne jamais sortir de cette crise.

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