Dans une interview récente, parlant de Chansons D’ennui, son propre album de reprise, Jarvis Cocker déclarait : « Je voulais rester très fidèle aux arrangements de la chanson originelle, car je n’aime pas les reprises trop dénaturées. Cat Power fait ça très bien, mais c’est probablement la seule. » (Plugged, 48, p. 70). Que ce soit la seule n’est peut-être pas certain mais il n’y absolument aucun doute qu’elle fasse ça très bien. Covers est le nouvel exemple du talent incroyable de Chan Marshall qui se cache sous le pseudo de Cat Power de non seulement de trousser de nouveaux morceaux, mais aussi de retrousser ceux qui attirent son attention. Chan Marshall ne se contente pas de chanter les chansons des autres ou ses propres chansons — puisque Unhate, le second morceau de l’album est une reprise de son propre Hate. Elle les amène ailleurs. Jarvis Cocker dit « dénaturer ». On pourrait dire qu’elle les re-nature ! Elles les agrandit, les élève… Comment est-ce possible ? C’est le mystère de la création. Mais le résultat est là. Les 12 morceaux qui composent cet album ressortent différents, si différents qu’on en oublie que ce sont des reprises. Who cares ? C’est tellement beau. Et même les rares oreilles encyclopédiques et mémoires bioniques qui sauront reconnaître facilement les originaux qui sont derrière ces versions auront envie d’écouter ces chansons pour en jouir, pour en profiter.
Parmi ces bijoux retaillés, il y a Against The Wind (Bob Seger and the Silver Bullet Band) auquel Chan Marshall ajoute une dimension dramatique et sombre, par des arrangements somptueux de lyrisme. Il y a aussi la version incroyablement ralentie du I Had a Dream Joe que Nick Cave et ses Bad Seeds avaient bourré d’électricité. Ici, on se contentera pour l’essentiel d’un piano lancinant et du martellement de la batterie… et de la voix (évidemment) pour retrouver la même énergie et la même émotion. Il y a encore, très électro Endless Sea d’Iggy Pop que choisit, à l’inverse du précédent, d’électrifier. Toujours aussi hypnotique. Un peu moins poisseux peut-être, plus acéré, plus coupant. Ou encore le White Mustang de Lana del Rey qui lui aussi est plus électrique, plus rapide, plus emphatique avec ces riches arrangements de cordes. Et, pour finir, on ne peut manquer de mentionner le Bad Religion de Frank Ocean qui ouvre l’album et ses quelques notes de guitare qui sortent d’on ne sait où, un gimmick qui tourne en boucle, revient, hante la chanson, les oreilles de l’auditeur, qui devient une telle évidence… probablement un des morceaux les plus remarquables de l’album.
Chan Marshall ne sait pas seulement ajouter. Elle est aussi parfaitement capable d’enlever, de réduire, d’épurer, voire de purifier. Le chœur d’enfants qui faisait merveille sur l’excellent Pa Pa Power de Dead Man’s Bones a disparu, sans qu’on trouve qu’il manque ! Disparu aussi le côté rugueux de l’original. On a droit à une version plus ronde, comme plus apaisée, plus calme. C’est aussi ce qui arrive au It Wasn’t God Who Made Honky Tonk Angels de Kitty Wells, qui se trouve ralenti, amputé d’une bonne minute, du premier couplet, de l’harmonica et dont la guitare country qui passe à l’arrière plan mais qui garde totalement son côté honky-tonk — dans la version de Chan Marshall, c’est la basse qui fait tout ! Et la voix, toujours. La voix encore, accompagnée simplement d’un orgue, sur A Pair of Brown Eyes, ce morceau des Pogues qui a l’air si pur sans ses arrangements originaux.
Et puis il y a quelques morceaux qui se rapprochent plus des originaux. Comme le I’ll be seeing you de Billie Holliday, que Chan Marshall épure quand même en donnant à la guitare sèche le rôle du piano dans l’original, mais enlève les cuivres. Ou encore le These Days de Jackson Browne, qui se suffisait à lui-même. Et puis surtout, Here Comes a Regular des Replacements. Chan Marshall, le morceau le plus long de l’album, l’avant-dernier. Là où les Replacements utilisaient la guitare, Chan Marshall chante accompagnée (quasiment uniquement) au piano sans s’éloigner beaucoup de la mélodie originale. L’émotion qui émanait déjà du morceau des Replacements prend ici une ampleur redoutable. Le morceau vous emporte. Comme l’album. Irrésistible.
Alain Marciano